RudyLéonet ​(c)BenoitBouchez
Interview : Rudy Léonet, administrateur et fervent défenseur de nos talents locaux
décembre 19, 2022

Depuis plus de 40 ans, Rudy Léonet se consacre aux matières culturelles, à leur observation, analyse et reportage journalistique. En radio, en télévision, en presse écrite et dans le digital. Également auteur et compositeur, il est devenu cette année membre du conseil d’administration de la Sabam. Rudy nous parle de ses motivations, de ses idées pour moderniser la Sabam et de son souhait de valoriser davantage nos talents locaux.

Quand et pourquoi avez-vous décidé de rejoindre la Sabam ? 

"J’ai rejoint la Sabam en tant que membre en 1993. À la base, je suis journaliste donc observateur et critique de musique, mais j’ai voulu me mettre dans la peau des artistes pour mieux comprendre leur point de vue. Mon travail d’investigation m’a mené à rencontrer beaucoup de monde, je me suis mis à écrire des chansons, j’ai créé un groupe (La Variété) et j’ai enregistré un album chez Barclay. J’ai pu faire la totale : enregistrement, concerts, tournée avec Jean-Louis Murat… C’était une expérience très riche artistiquement et journalistiquement. J’ai pu voir comment ça se passait de l’autre côté du miroir. Je suis naturellement devenu auteur et me suis inscrit à la Sabam. J’ai ensuite continué mon travail journalistique, mais également mon travail d’auteur en écrivant des chansons pour Indochine, Jeff Bodart, Marc Morgan…"

Pourquoi vous engager dans le conseil d’administration après autant d’années ? Quelles étaient vos motivations ?

"Je pense que c’est une question d’âge. Je dois beaucoup à ceux et celles qui ont passé leur vie à créer du contenu musical et artistique puisqu’ils et elles m’ont permis d’élaborer des programmes radio/TV. J’estime avoir reçu énormément de la part des artistes et c’est donc à mon tour de leur rendre ce qu’ils m’ont apporté en jouant un rôle actif dans leur société de gestion. Aujourd’hui, je perçois beaucoup mieux les enjeux des professions artistiques. On pense souvent qu’à la Sabam, les gens sont vieux, qu’ils ne sont pas représentatifs des artistes. C’est une affirmation qui, non seulement est fausse, mais qui ne tient pas compte de la réalité. Il faut pouvoir adopter une vision panoramique du secteur, se plonger dans des dossiers qui font appel à des notions aussi bien juridiques, que financières ou politiques. C’est quelque chose qui n’intéresse pas trop quand on est jeune et dans le mouvement créatif, mais qui vient avec l’âge. Quand on est jeune, la rémunération n’est pas la priorité. Le but premier est d’être diffusé et les droits d’auteur sont perçus comme un bonus alors qu’ils devraient être envisagés comme un dû non négociable."
 

J’estime avoir reçu énormément de la part des artistes et c’est donc à mon tour de leur rendre ce qu’ils m’ont apporté en jouant un rôle actif dans leur société de gestion.

Votre lien avec la musique est très fort mais vous êtes aussi très actif dans le milieu du cinéma. Quelle est votre relation avec l’audiovisuel ?

"Cela fait 30 ans que j’anime une émission de cinéma dans laquelle je suis amené à débattre sur des films chaque semaine. J’ai donc une très bonne connaissance du secteur audiovisuel. Je me suis également investi dans la cérémonie des Magritte, je fais partie de la commission film du Centre du Cinéma qui octroie des subventions aux réalisateurs et réalisatrices. Tout comme le fait Sabam for Culture, je trouve important de donner de son temps et de partager, d’amener une vision et un point de vue dans le développement de nos talents audiovisuels, mais également des autres disciplines artistiques."

Je trouve important de donner de son temps et de partager, d’amener une vision et un point de vue dans le développement de nos talents audiovisuels, mais également des autres disciplines artistiques.

Diriez-vous que la multidisciplinarité est une force de la Sabam ?

"Tout à fait ! C’est une force dont la Sabam n’a pas toujours conscience, mais la multidisciplinarité favorise la transversalité et la convergence. Et c’est exactement ce qu’on recherche. C’est une grande chance de pouvoir reposer sur une vision de la création à 360 degrés. Que ce soit l’expression écrite, musicale, visuelle ou encore les arts de la scène, tout cela fait partie de la Sabam depuis le début. C’est une vraie richesse : pouvoir faire se rencontrer différents univers pour multiplier les potentiels de projets."

D’après vous, qu’est-il nécessaire de faire pour consommer plus de culture locale ?

"La question serait plutôt « Comment faire pour que le public s’intéresse plus aux talents locaux ? ». Ce n’est pas nouveau, il y a une grande différence entre la Flandre et la Wallonie au niveau culturel. La nécessité d’avoir une représentation et une expression culturelle locale est plus forte chez les flamands. Là où les francophones se tournent autant vers les artistes français, dans lesquels ils se reconnaissent. C’est donc aux médias qu’il revient de faire la différence. Les médias francophones ne se rendent pas toujours compte qu’ils sont des médias locaux et que leur destin est intimement lié aux artistes locaux. Je suis persuadé qu’un média belge ne peut pas survivre sans ses artistes locaux. Avec la globalisation, les artistes étrangers sont de moins en moins disponibles pour des petits territoires comme la Belgique, où les enjeux économiques sont plus petits. En revanche, nous avons un attachement beaucoup plus fort et plus profond avec nos artistes locaux. On tisse un lien particulier et on développe une réelle proximité avec eux. Et c’est exactement cela qu’il faut cultiver et entretenir !"

Rudy Léonet ©Benoit Bouchez

Qu’est-ce qui différencie la culture belge de celle de nos voisins ?

"C’est compliqué à définir. Je pense qu’il y a un excès de modestie chez les artistes belges et c’est lié à notre culture. La modestie est louable, mais est parfois un frein. Et pourtant, on n’a aucune raison d’être plus modestes que nos voisins français. Au niveau musical, la Belgique est plus moderne dans la manière d’aborder les chansons et dans sa production. La France reste très classique et cloisonnée et souvent, elle imite. Ce qui est étonnant, c’est que malgré la petitesse du territoire, on a beaucoup de talents novateurs qui deviennent des inspirations. Des artistes qui ont une réelle influence au-delà de nos frontières."

Malgré la petitesse du territoire, on a beaucoup de talents novateurs qui deviennent des inspirations. Des artistes qui ont une réelle influence au-delà de nos frontières.

Quels sont les projets qui vous occupent le plus pour le moment ?

"Depuis septembre, je travaille à une émission quotidienne sur La Première. On y parle de musique et de cinéma. J’ai toujours mon émission de cinéma hebdomadaire pour la RTBF (TV) et je m’occupe également de la Belgian Music Week. Je prépare un nouvel album de musique électrique qui sortira chez Freaksville en 2023. Mes projets sont toujours en rapport avec les artistes et les créateurs et créatrices de contenu. Voilà pourquoi j’ai à cœur de les mettre à l’honneur et de travailler à la mise en valeur de nos talents locaux."

Mes projets sont toujours en rapport avec les artistes et les créateurs et créatrices de contenu. Voilà pourquoi j’ai à cœur de les mettre à l’honneur et de travailler à la mise en valeur de nos talents locaux.

Quel regard portez-vous sur ce premier semestre en tant que membre du conseil d'administration ?

"Il y a beaucoup de dossiers sur la table. On est dans une époque de changement où beaucoup de choses sont remises en question. Les nouvelles technologies dictent l’avenir du droit d’auteur. Avant, la chanson était symbolisée par un disque, aujourd’hui elle n’est plus symbolisée matériellement et son appropriation est compliquée. On doit remettre l’appropriation et le travail des auteur·e·s au centre de la discussion. On doit insister sur l’importance de la rémunération et mettre de la valeur sur ce qui est n’est plus tangible. Avec l’online, on bascule dans un débat international dans lequel la place de la Sabam est importante. Nous devons porter la voix des auteur·e·s parfois au-delà de ce qu’ils peuvent saisir. On demande à la Sabam d’anticiper les choses. C’est compliqué et ça demande beaucoup de modestie. Il faut parfois savoir dire « je ne sais pas », admettre qu’il n’y pas toujours de certitude et continuer à travailler sur des scénarios qui sécurisent au mieux les auteur·e·s. Cela passe par une gouvernance plus agile, une remise en question pour coller à la réalité et plus de souplesse dans les relations avec les membres."

Que voudriez-vous accomplir pendant votre mandat ?

"Avec mon parcours médiatique, j’aimerais pouvoir jouer un rôle pédagogique entre la Sabam et les diffuseurs. Les diffuseurs ont besoin des artistes locaux et nous voulons que nos artistes soient plus diffusés. Il y a une notion de partenariat qui pourrait être encore renforcée. Partenariat également avec les clients, où le dialogue pourrait être amélioré. Un grand pas en avant a été fait avec Tomorrowland, il faut continuer sur cette voie et ouvrir encore un peu plus le dialogue. Enfin, la Sabam doit rester un interlocuteur essentiel pour les autorités. Des chantiers auxquels j’ai hâte de pouvoir participer."
 

Les diffuseurs ont besoin des artistes locaux et nous voulons que nos artistes soient plus diffusés.

À quel(s) niveau(x) la Sabam pourrait-elle encore mieux défendre les droits d’auteur ?

"Comme je le disais plus haut, il faut ouvrir encore un peu plus le dialogue avec ceux et celles qui ont besoin de la musique et leur faire comprendre que ce besoin de musique n’est possible que si l’on reconnait le besoin des auteur·e·s d’être rémunérés. La dématérialisation n’a pas aidé la musique à se faire respecter comme valeur marchande. C’est devenu tellement abstrait pour ceux et celles qui l’utilisent… Notre façon de consommer ne doit pas dévaloriser la création." 

Notre façon de consommer ne doit pas dévaloriser la création. 

Quel serait votre rêve pour la Sabam ?

"Qu’elle soit un peu plus sexy. Elle représente des artistes qui sont dans le divertissement et vendent du rêve. L’institution qui les représente devrait aussi faire partager ce rêve ! Aujourd’hui, elle a une image poussiéreuse et c’est bien dommage quand on sait que de l’intérieur, elle n’est pas du tout comme ça. Il faut la rendre plus attrayante et montrer au monde extérieur que c’est une entreprise moderne." 

Que diriez-vous pour motiver les auteur·e·s, les jeunes à s’engager dans le conseil d’administration ?

"Il n’est jamais trop tôt pour s’intéresser à son avenir. Je sais qu’il y a un moment pour tout, mais si quelqu’un·e se sent l’envie de penser à son avenir et à celui des autres, ce serait intéressant pour la Sabam de pouvoir bénéficier de l’écho des jeunes voix."

 

Photos : ©Benoit Bouchez

 

 

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